L’enjeu des vieux bâtiments : entre préservation de la structure existante et constructions durables
Selon Carl Elefante, FAIA, LEED AP, « Le bâtiment le plus écologique est ... celui qui existe déjà ».
Le bâtiment le plus écologique n’est pas nécessairement le plus récent et le plus grand, le bâtiment labélisé LEED Platinium (plus haut niveau de certification) ou le bâtiment implanté sur un site parfaitement calibré et agrémenté de bassins biologiques, avec accès à diverses formes de transport. Bien entendu, tous ces attributs peuvent avoir leur importance : nous avons besoin de ce type de bâtiments pour repousser les limites, au sens littéral comme au sens figuré.
Non, le bâtiment le plus écologique ne ressemble en rien à cela. En fait, il existe peut-être déjà depuis longtemps, mais vous ne l’aviez pas remarqué.
Dans Déclin et survie des grandes villes américaines, Jane Jacobs expliquait que les « vieux bâtiments ordinaires, quelconques, de faible valeur » - pas ceux qu’elle qualifiait de « véritables pièces de musée » - constituaient la meilleure solution pour maintenir une ville saine, diverse et stable. Cette idée était le fruit d’une réflexion approfondie sur la durabilité, même si la motivation de Jane était incontestablement ancrée dans l’économie et le dynamisme de la vie urbaine.
Importance des vieux bâtiments dans la conception durable
Chaque année, le U.S. Green Building Council (USGBC) publie un rapport sur les tendances de l’année précédente. Depuis plusieurs années, les rénovations écologiques figurent en tête de liste. Dans son rapport de l’an dernier sur les tendances de 2016, l’USGBC soulignait que sa certification « LEED for Building Operations and Maintenance » (LEED Exploitation et Gestion d’un Bâtiment) – également appelée « LEED-EB » ou « EBOM » – était le système de notation le plus couramment utilisé pour les bâtiments certifiés LEED dans le top 10 des États américains. En 2016, la certification LEED-EB a représenté environ 53% de la superficie totale certifiée. La première déclinaison de la nouvelle Version 4.1 LEED lancée en mars dernier concernait les bâtiments existants.
La tendance des rénovations écologiques devrait se poursuivre et s’intensifier. Selon le rapport de SmartMarket « World Green Building Trends », publié également en 2016, 43% des entreprises basées aux Etats-Unis prévoyaient de travailler sur des rénovations écologiques de bâtiments dans les trois prochaines années. Globalement, 48% ont déclaré avoir participé à une rénovation écologique au cours des trois précédentes années.
Dans un article paru en 2007, The Greenest Building Is...One That Is Already Built (Le bâtiment le plus écologique est ... celui qui existe déjà), l’architecte Carl Elefante, FAIA (Président actuel du American Institute of Architects), soulignait l’importance de la rénovation du parc de bâtiments existants. Reprenant les statistiques de l’époque sur la proportion entre bâtiments existants et bâtiments neufs, il expliquait qu’en matière de durabilité, il est impossible de faire l’impasse sur les bâtiments existants et de tout miser sur les bâtiments neufs écologiques : « Dans les 20 prochaines années, quatre bâtiments existants sur cinq seront rénovés, tandis que deux bâtiments neufs seront construits. »
La plupart des structures existantes seront encore là en 2030 — date butoir pour la neutralité carbone fixée par Architecture 2030 et The 2030 Challenge. Selon l’USGBC, en 2012, le taux de remplacement annuel (représentant la rénovation et les constructions neuves) se situait à environ 2%. A ce rythme-là, il faudra beaucoup de temps pour atteindre les objectifs de durabilité. »
Mesurer la valeur des vieux bâtiments
Outre la valeur de l’investissement économique dans le parc de bâtiments existants, il convient de rappeler la valeur historique et culturelle évidente que revêtent les vieux bâtiments au sein des quartiers et communautés. Pensez aux techniques et au savoir-faire perdus, aux matériaux auxquels nous n’avons plus accès et à l’histoire qu’incarne un vieux bâtiment : certaines choses sont impossibles à mesurer. Mais mesurer - et donc - prouver la valeur permet d’attirer l’attention des gens. Nous n’avons de cesse de défendre la rénovation des vieux bâtiments, que ce soit à des fins de préservation historique ou de durabilité. Ou de préférence les deux (ensemble).
Pendant des années, l’argument environnemental pour poursuivre la rénovation des bâtiments existants semblait se concentrer uniquement sur l’énergie grise. L’énergie grise était l’une des rares choses à pouvoir être mesurée et constituait donc un indicateur clé pour prouver la valeur économique de la préservation historique et de la réutilisation adaptative.
L’énergie grise est la quantité totale d’énergie nécessaire pour créer les matériaux et composants individuels entrant dans la construction d’un bâtiment. L’énergie grise englobe également l’énergie utilisée pour transporter tous les produits de construction sur le site et l’énergie consommée pendant la durée de vie du bâtiment pour son entretien. L’énergie grise est souvent mesurée en BTU ou Joules.
Des calculateurs d’énergie grise et des bases de données dédiées sont encore disponibles en ligne (principalement sur des sites britanniques ou australiens), mais cette mesure centrée sur l’énergie a été détrônée par une mesure globale des impacts : l’analyse du cycle de vie (ACV). L’ACV est également une composante importante de la dernière version du système de certification LEED.
Les BTU ne peuvent pas mesurer la valeur réelle de la réutilisation de bâtiments existants ou historiques. Tom Mayes, du National Trust for Historic Preservation, a écrit que « conserver et utiliser de vieux bâtiments est l’un des choix les plus écologiques qu’une personne ou une communauté puisse faire ». Les approches de préservation historique et de durabilité ont beaucoup en commun. Il n’est donc guère surprenant que l’une des analyses les plus importantes de la valeur économique et environnementale des bâtiments existants ait été conçue par le National Trust.
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Les méthodes de mesure de la valeur des bâtiments existants et historiques ont fait un grand bond en avant en 2011 avec la publication de l’étude The Greenest Building: Quantifying the Environmental Value of Building Reuse. Cette étude phare du Preservation Green Lab, National Trust, a mis en évidence les raisons pour lesquelles il est important de mieux comprendre notre parc de bâtiments existants. Cela s’inscrit dans une démarche de durabilité au sens le plus large du terme, l’objectif étant de réduire les effets sur le changement climatique et la santé humaine en particulier.
Le Preservation Green Lab a employé la méthodologie ACV pour mesurer l’impact de la préservation et de la réutilisation des bâtiments existants, et a mis en corrélation les impacts de la démolition, de la rénovation et des constructions neuves avec les impacts du changement climatique. L’étude s’est basée sur une durée de vie de bâtiment de 75 ans pour comparer les structures anciennes et neuves de taille et de complexité similaires. Elle portait sur six types de bâtiments dans quatre zones climatiques distinctes confrontées à des enjeux énergétiques et environnementaux différents. Le but de l’étude n’était pas de démontrer que les vieux bâtiments sont bons et que les bâtiments neufs sont mauvais. Les résultats ont mis en évidence des économies environnementales contrastées, allant de 4% à 46% selon le type de bâtiment, la situation géographique et le niveau d’efficacité énergétique. Une rénovation « verte » dépend entre autres des matériaux de construction utilisés, des sources d’énergie et des types de systèmes pour bâtiments sélectionnés.
Selon le rapport, réutiliser des bâtiments existants permet de générer davantage d’économies environnementales que les démolir pour en construire des neufs. Cela s’explique en grande partie par les longs délais (entre 10 et 80 ans) requis pour supprimer les impacts négatifs d’un bâtiment neuf en termes d’émissions de carbone et de changement climatique. Le rapport présente, à titre d’exemple, l’impact de rénovations à Portland, Oregon : selon des prévisions à 10 ans, on pourrait atteindre 15% de réduction des émissions de CO2 si 1% seulement des immeubles de bureaux et des logements particuliers étaient rénovés.
Pour ce qui est des matériaux de construction, mieux vaut miser sur la simplicité : les bénéfices environnementaux seront plus importants si on utilise moins de matériaux neufs dans une rénovation, tout ce qui peut être réutilisé doit l’être. L’intérêt de ce rapport est qu’il quantifie en monnaie sonnante et trébuchante la valeur de la réutilisation des bâtiments existants. Dans le cadre du mouvement pour la construction écologique, cela fait plusieurs années que nous défendons, arguments financiers à l’appui, la durabilité. C’est précisément ce qu’est parvenu à faire cette étude en analysant l’impact économique de l’investissement dans des bâtiments existants et historiques.
En dépit de ces arguments, pourquoi les entreprises n’ont-elles pas été plus nombreuses à emprunter le train de la durabilité ?
Les défis de la rénovation écologique des vieux bâtiments
Nous savons comment concevoir des bâtiments écologiques neufs, mais que faire des bâtiments existants qui constituent l’un des plus grands défis en matière de conception durable ? Cela vaut en particulier pour les structures construites entre la fin des années 1940 et le début des années 1970, lorsque les combustibles fossiles et les matériaux bon marché et moins durables dominaient. Cette période architecturale représente une part significative des bâtiments existants, et le pire casse-tête qui soit pour les rénovations écologiques.
Comme tout bon architecte ou designer le sait, l’inspection sur le terrain d’un bâtiment existant est incroyablement chronophage et présente un risque énorme d’erreurs. La technologie constitue ici un véritable atout, avec des outils de précision tels que les drones et les scanners laser 3D. Importer toutes ces données directement dans un logiciel de modélisation BIM vous permet de transformer le nuage de points en modèles exploitables. Les gains de temps sont considérables et vous pouvez par ailleurs capturer des détails critiques et visualiser les complexités des vieilles structures.
Image montrant les détails qui peuvent être capturés avec la technologie de numérisation laser 3D.
Dans le monde d’aujourd’hui, les entreprises qui travaillent sur des projets de rénovation doivent impérativement se doter de solutions de numérisation et de la technologie BIM.
Jetez un œil sur ce guide de bonnes pratiques « Scan-to-BIM ».
Il nous reste beaucoup à apprendre sur la façon d’améliorer les enveloppes des bâtiments d’une centaine d’années, sans détruire ce qui fait leur longévité. Ou sur la façon dont fonctionnaient les éléments architecturaux écologiques supprimés il y a des décennies. Vous vous souvenez des impostes ? — ces petites fenêtres au-dessus des portes, comme dans la photo ci-dessous.
Elles avaient une finalité : faire entrer la lumière dans un intérieur sombre et (pour ce qui est des impostes ouvrantes) faire circuler l’air entre les espaces. Les impostes ouvrantes ont disparu avec l’amélioration des technologies et des systèmes de régulation. Nous avons construit des murs extérieurs entièrement en verre pour remplacer les murs en maçonnerie massive qui absorbent la chaleur, mais impossible d’ouvrir une fenêtre. L’évolution des technologies de chauffage et de climatisation s’est accompagnée d’un meilleur contrôle sur l’environnement intérieur — et d’une dépendance accrue aux systèmes mécaniques.
Reconnaître et comprendre les éléments architecturaux écologiques des vieux bâtiments est l’une de choses que les architectes et designers doivent apprendre - ou réapprendre : que faut-il conserver et pourquoi ? Nos méthodes de construction ont changé lorsque nous avons acquis un meilleur contrôle sur notre environnement intérieur grâce aux systèmes mécaniques. Les bâtiments reposaient auparavant sur des éléments architecturaux passifs.
Ces vieux bâtiments étaient peut-être plus écologiques que nous ne l’imaginions.